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21 avril 2013 7 21 /04 /avril /2013 09:32

               

    La rentabilité du raffinage de pétrole en question

             (Article publié dans le quotidien le soir d'Algérie du 21-04-2013)

 

 

Décidemment, le monde du pétrole et du gaz est en pleine mutation. Après l’épopée des gaz de schistes qui a révolutionné la fin des années 2000, c’est au tour du marché international des produits pétroliers de connaitre de grands bouleversements. Parmi ceux-ci, le plus remarquable est, certainement, le nouveau statut d’exportateur net de produits raffinés des Etats Unis. Traditionnellement premier importateur mondial, ce pays a, selon l’Agence américaine EIA, exporté plus de 19 millions tonnes de produits raffinés en 2011. Cette année, il devrait en exporter deux fois plus. Ce pays a même exporté des essences alors qu’il constituait, il y a encore 3 ou 4 ans, le principal débouché pour tous les excédents d’essences du monde entier. Des événements de cette ampleur ne peuvent passer sans laisser de traces, surtout quand ils concernent le pays qui consomme le quart de la production mondiale des produits pétroliers. Dans cette contribution, nous essaierons d’analyser les raisons qui sous tendent cette situation inédite et examinerons les impacts potentiels qui peuvent découler de cette nouvelle donne américaine sur le raffinage de pétrole.

Produits raffinés : marché en déclin dans les pays industrialisés

Selon l’AIE, la demande en produits pétroliers, qui est de l’ordre de 85 millions barils /J, continuera à progresser modérément (0,7%/an) pour atteindre prés de 99 millions barils en 2030. La croissance de la demande est surtout le fait des pays émergents. A elle seule, la Chine représente plus de la moitié de cette augmentation. Par contre, la demande des pays industrialisés diminuera de quelques 6 millions barils jours d’ici 2030.

Dans ces pays, le déclin relatif du marché des carburants pétroliers, qui représente près de 70% de la production du raffinage, résulte principalement d’une stratégie de substitution des carburants alternatifs aux carburants pétroliers. Il est aussi le résultat d’un vaste programme d’efficacité énergétique qui se fonde sur la promotion de nouvelles technologies peu gourmandes en énergie.

Le marché du Fuel, qui est l’autre principal produit pétrolier de large consommation,  s’est, quant à lui, complètement effondré ces dernières années. La part du fuel, qui représentait 33% de la consommation globale des produits raffinés en 1973, est retombée à moins de 14% aujourd’hui. Cette chute drastique se poursuivra en raison des problèmes environnementaux que pose la consommation de ce produit. A terme, l’utilisation des fuels tendra à disparaitre totalement des usages domestiques et terrestres et se restreindra aux soutes marines.

 

Excédent du marché des essences : un grand handicap pour le raffinage

Le phénomène de la diésélisation du parc des véhicules a entrainé une distorsion du marché international des carburants qui se caractérise actuellement par une offre limitée en gasoil et un important excédent en essences. La problématique du manque de gasoil a été réglée par l’adjonction d’unités d’hydrocraking, qui transforme le fuel en gasoil, dans la plupart des raffineries d’aujourd’hui. Quant au problème du surplus d’essences, Il n’est pas possible d’y remédier en agissant sur la configuration du raffinage car techniquement, la production d’essence d’une raffinerie est pratiquement incompressible (~30%). Ce problème est d’autant plus difficile à résoudre qu’il se généralise à tous les marchés. Limité auparavant à la CEE, la Russie et l’Amérique latine, l’excédent d’essences s’est aujourd’hui étendu au grand marché des Etats Unis. Selon une étude de Citi-GPS, la demande d’essence US baisserait encore de plus de 60 millions tonnes/an d’ici 2020.  Cet excédent structurel est déjà la principale cause de la fermeture récente de nombreuses raffineries. Il constituera dans l’avenir un handicap majeur pour le développement de l’industrie du raffinage.

 

Essences et fuel: des prix relativement bas

L’excès de l’offre en essence et en fuel fait que les prix de marché de ces produits sont relativement bas. Le prix du fuel, et parfois celui des essences, sont même inférieurs à celui du pétrole brut. Seul le gasoil dégage un écart de prix (spread) intéressant. Ceci fait que la marge brute de raffinage, qui est la différence entre le prix du pétrole et le prix moyen du panier des produits raffinés qui en sont issus, est très faible. Selon les statistiques de la Direction Générale de l’Energie et du Climat (DGEC-France), la marge brute de raffinage du Brent (pétrole léger) n’a été, ces dernières années, que de 2 à 6 dollars le baril alors que le prix du pétrole caracolait au dessus de 100 $/Bbl (voir courbe jointe). Ce bas niveau des marges explique pourquoi les pétroliers européens trouvent plus profitable de dépenser 200 à 300 millions de dollars pour démanteler leurs raffineries, pourtant amorties, et d’importer des produits raffinés sur le marché international. Si les marges de raffinage n’arrivent même pas à assurer la viabilité économique de raffineries complètement amorties, qu’en est-il des nouvelles raffineries?

 

 

Economie du raffinage : un niveau de rentabilité prohibitif

Les coûts de réalisation des raffineries sont extrêmement élevés. Ils ont considérablement augmenté ces dernières années. Pour les raffineries construites récemment, le coût est de l’ordre de 700 - 1000 dollars la tonne/an. Pour une raffinerie de 5 millions de tonnes/an, qui est une taille économique limite, le montant de l’investissement se situerait donc à un minimum de  3,5 milliards de dollars. En prenant en compte la moyenne de la marge brute de raffinage observée durant les 5 dernières années (2008-2012), soit 25 $/tonne, les revenus de cette raffinerie seraient de 125 millions de dollars/an. Ces revenus ne permettent de rembourser le capital investi, avant actualisation, qu’au bout d’une période de 28 ans. Si l’on ajoute les frais de fonctionnement et les effets de l’inflation, la durée de récupération du capital dépassera allégrement les 40 ans. De tels niveaux de rentabilité  sont évidement prohibitifs. Dans le domaine de l’aval pétrolier, les économistes considèrent qu’un investissement n’est rentable que si sa durée de remboursement est inferieure à 5-8 ans.

 

Cas du Moyen Orient et de l’Asie

Malgré cette mauvaise rentabilité, le raffinage continue à progresser au Moyen Orient et en Asie, chine notamment. Pourquoi donc ? Dans le cas du Moyen Orient, le raffinage se développe pour des raisons stratégiques évidentes. Les Etats de cette région, qui renferme 50% des réserves mondiales de pétrole, ont, en effet, tout intérêt à promouvoir l’utilisation des produits pétroliers. Les gains gigantesques qu’ils réalisent dans l’amont pétrolier compensent et justifient largement les pertes relativement minimes encourues dans l’activité de raffinage. Quant à la chine, elle a tout autant intérêt à développer son  industrie du raffinage afin de répondre à sa demande intérieure qui est en train d’exploser littéralement. Sans la réalisation de nouvelles unités, ce pays importerait plus de 50% de ses besoins en 2030 ce qui, pour une grande puissance, n’est pas concevable. Les conditions de rentabilité sont aussi beaucoup plus avantageuses en Chine. Les raffineries y sont construites en utilisant exclusivement des ressources et des équipements locaux dont les coûts sont nettement plus bas. La contrainte de disponibilité de débouchés pour les essences ne se pose également pas dans ce pays dont la forte demande permet d’absorber la totalité de la gamme des produits du raffinage.

 

Cas de l’Algérie

Le raffinage nationala actuellement une capacité de traitement de l’ordre de 22 millions de tonnes/an de pétrole. Cette capacité sera portée à 26 millions de tonnes/an à l’achèvement, fin 2013, des travaux de rénovation. Après rénovation, le raffinage national traitera donc 50% de notre production totale de pétrole brut qui est de l’ordre de 55 millions de tonnes/an. Sur ce plan, notre pays se place en tête des grands pays producteurs. A titre de comparaison, le Koweït ne traite que 32% de sa production de brut, l’Arabie Saoudite 20% et la Norvège 15 %. Jusqu’à présent, l’outil national de raffinage a aussi couvert convenablement la demande. Ceci est une réalité qui ne devrait pas être occultée par la médiatisation des récentes importations de carburants qui ne sont dues, pour l’essentiel, qu’aux arrêts techniques des raffineries pour cause de rénovation. Notre pays est même l’un des rares au monde à satisfaire la totalité de ses besoins par la production nationale. Même les pays du golfe, e.g Iran, recourent à l’importation. D’ailleurs, importer 20 à 30% de ses besoins en produits raffinés n’est en aucun cas un acte rédhibitoire. Bien au contraire, il est tout à fait pertinent dans les conditions économiques d’aujourd’hui qui sont largement défavorables aux opérations de raffinage.

Mais, pour plus de clarté, posons la question directement : est ce que le raffinage Algérien est sous-dimensionné par rapport à la consommation nationale? La réponse est : non. Il est même surdimensionné en termes de capacité globale. Jugez en : la capacité de raffinage (26 millions tonnes/an) est deux fois plus élevée que la demande (~14 millions de tonnes/an). Ce qui pose problème, ce n’est donc pas la capacité. Le problème est dans le schéma de production de nos raffineries. Celui-ci est inadapté à la structure du marché intérieur. Seuls 60% des produits fabriqués par nos raffineries sont consommés localement. Le reste, soit 40%, se compose essentiellement de fuel et de naphta que l’on exporte à un prix relativement bas. C’est cette inadéquation qu’il faudrait corriger pour répondre de manière efficiente à la croissance de la demande. On pourrait le faire par l’intégration, dans les raffineries existantes, d’unités d’hydrocracking qui transforment le fuel en gasoil. De telles unités permettraient, à moindre coût et dans des délais relativement courts, d’accroitre sensiblement la production de gasoil sans avoir à augmenter la quantité de pétrole traité. Elles contribueraient ainsi au règlement de l’autre problème du raffinage national, à savoir le volume limité de nos réserves de pétrole qui, en l’état actuel (15 – 20 ans), ne permet objectivement pas d’en garantir l’approvisionnement de façon pérenne.

 

Conclusion

Le surplus de capacité du raffinage mondial que l’on estime à 20%, l’excédent structurel du marché des essences et les politiques d’efficacité énergétique et de promotion des carburants alternatifs plonge l’activité du raffinage de pétrole dans une conjoncture défavorable durable. La politique du ‘tout raffinage’ n’est plus de mise dans le monde d’aujourd’hui. Elle ne constitue pas une solution viable tant aux plans économique et environnemental que stratégique. Toutes les études prospectives prévoient un remplacement progressif des carburants classiques par des carburants non issus du pétrole. Parmi ceux-ci, le GPLC et le GNC connaissent aujourd’hui un net regain d’intérêt suite à la découverte et l’exploitation de grands gisements de gaz de schistes. L’énergie électrique d’origine renouvelable (solaire) et, à un degré moindre, l’hydrogène sont les autres carburants sur lesquels se fondent beaucoup d’espoirs.

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