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24 février 2014 1 24 /02 /février /2014 10:49

                                                                            Quelques vérités sur les gaz de schiste

                                                 ( article publié sur le quotidien Algérien le Soir d'Algérie du 24-02-2014)


Les immenses réserves des gaz de schiste de l’Amérique du Nord sont connues de très longue date. Faute de techniques de production, ces ressources n’ont pu être exploitées qu’à partir des années 2000. Depuis, les gaz de schiste en font la une de tous les mass-médias. Certains gouvernements et lobbies pétroliers y sont très favorables. 
D’autres, sociétés civiles et environnementalistes, les considèrent comme un désastre écologique. Il s’ensuit des débats très vifs, non seulement aux Etats- Unis, qui ont vu leur développement massif récemment, mais aussi un peu partout dans le monde où leur exploitation est envisagée. Bien que non structurés, ces débats ont également lieu dans notre pays où les gaz de schiste ont de fervents défenseurs mais aussi de farouches opposants. La présente contribution se veut un apport constructif au débat. 


Gaz de schiste : de quoi parle-t-on ?
Au plan physico-chimique, les gaz de schiste sont rigoureusement identiques au gaz naturel que nous consommons communément dans nos foyers. Les gaz de schiste, tout comme les gaz conventionnels, sont composés de la même molécule, à savoir le méthane. La différence entre ces deux types de gaz réside uniquement dans la forme géologique des gisements qui les renferment. Les gaz conventionnels sont contenus dans de grands réservoirs souterrains dans lequel il suffit de forer un puits vertical pour remonter, à la surface, le gaz. Par contre, les gaz de schiste se trouvent sous la forme de bulles de gaz emprisonnées dans de la roche compacte. La récupération de ces bulles de gaz ne peut donc se faire qu’après avoir fracturé la roche pour les libérer. Cette fracturation est réalisée au moyen de la technique dite de fracturation hydraulique qui consiste à fissurer la roche par injection, sous très haute pression, de grandes quantités d’eau mélangées à du sable et à des produits chimiques.


Environnement : un bilan plutôt à charge 
Tout a commencé par la publication dans le journal du New York Times d’un long article basé sur des rapports confidentiels de l’Agence de protection de l’environnement des Etats-Unis (EPA). Ces rapports inventorient toute une série d’effets dangereux liés à l’exploitation des gaz de schiste. Ils signalent de graves cas de pollution des sources d’eau par du gaz, des produits chimiques cancérigènes et des éléments radioactifs. La radioactivité de ces eaux dépassait souvent 100 fois la norme admise. Ils indiquent aussi une augmentation drastique du taux de benzène et de toluène dans l’air, et relèvent une prévalence de maladies respiratoires anormalement élevée dans les zones voisines des puits de gaz. Ces griefs ont été reconnus de facto par les autorités américaines qui ont réagi en mettant en place des commissions techniques avec pour mission de proposer des mesures pour y remédier. De nouvelles réglementations, destinées à mieux encadrer cette activité, ont ainsi vu le jour récemment. Certains Etats et plusieurs comtés ont même interdit temporairement l’exploitation des gaz de schiste. L’autre inconvénient majeur de la fracturation hydraulique réside dans la consommation excessive d’eau que nécessite cette technique. Selon une étude publiée récemment par le Ceres, l’industrie des gaz de schiste des Etats-Unis a consommé plus de 400 millions de mètres cubes d’eau durant les seules années 2011 et 2012. En Europe, des secousses sismiques ont été rapportées dans la région de Blackpool (Angleterre) où la compagnie Cuadrilla Resources réalisait des forages de gaz de schiste. Même si la magnitude de ces secousses était faible (1,5-2,3 sur l’échelle de Richter), les forages ont dû être interrompus par mesure de sécurité. Selon certaines études, ce phénomène sismique résulterait de l’action de la fracturation hydraulique lorsque celle-ci est réalisée dans des zones naturellement fracturées ou instable sismiquement. Pour éviter ce problème, les spécialistes préconisent une bonne connaissance préalable des zones exploitées et un suivi rigoureux du comportement sismique lors des opérations de fracturation.


Fracturation hydraulique : une technique problématique
A la lumière de cette expérience, dire que la technique de fracturation hydraulique ne présente pas de risques est difficilement soutenable. Si elle ne posait vraiment pas problème, comment expliquer que la France, pays dépendant à 100% de l’étranger pour la satisfaction de ses besoins énergétiques, accepte de se passer de cette manne ? Peut-on croire un seul instant que le moratoire décrété par ce pays ait été décidé juste pour satisfaire les «lubies» des environnementalistes. Même l’AIE, lobby pétrolier s’il en est, reconnait la gravité des problèmes posés et vient de proposer toute une batterie de mesures (règles d’or) pour en éviter la récurrence. Encore tout récemment (janvier 2014), la CEE a également reconnu les problèmes spécifiques aux gaz de schiste et recommandé aux pays membres de revoir de fond en comble leur réglementation actuelle afin d’en tenir compte. Autre question connexe souvent posée : est-ce que la fracturation hydraulique est une technique maîtrisée ? La réponse ne peut être que négative puisque les problèmes vécus l’ont été aux Etats-Unis, berceau de l’innovation et de la technologie et disposant d’un arsenal réglementaire à toute épreuve. Songez un instant aux conséquences si l’exploitation de gaz de schiste avait eu lieu dans un pays en voie de développement qui ne dispose ni de technologie ni d’une réglementation rigoureuse. De ce qui précède, il ressort que la fracturation hydraulique est une technique qui pose des problèmes qui, à l’évidence, ne sont pas suffisamment maîtrisés aujourd’hui. Ce constat semble largement partagé si l’on en juge par le lancement tous azimuts de programmes de recherche de nouvelles technologies plus sûres. Ces recherches sont axées sur le perfectionnement de la technique de fracturation hydraulique dans le sens d’une diminution substantielle de la consommation d’eau, de la substitution des produits chimiques dangereux et d’une réduction du nombre de puits requis dans cette technique. D’autres voies de recherches, plus prometteuses, portent sur des techniques alternatives telles la fracturation au fluoro-propane (propane non inflammable) ou à l’arc électrique. 


Quel avenir pour les gaz de schiste ?
La demande mondiale d’énergie ne cesse de croître. Selon l’Agence internationale de l’énergie, elle atteindrait près de 18 milliards de tep en 2035. Dans le même temps, les ressources conventionnelles d’hydrocarbures (pétrole et gaz) sont en déclin. Dans ce contexte, les réserves gigantesques en gaz de schiste ne peuvent être ignorées. D’après un rapport du département US de l’Energie, qui a évalué les réserves de 41 pays, celles-ci s’élèveraient à 7 201 trillions de pieds cubes (TCF). Ce rapport classe l’Algérie au 3e rang mondial avec un volume estimé à 707 TCF (voir figure ci-dessous). La configuration des réserves de gaz de schiste indique également un rééquilibrage géographique des ressources mondiales de gaz. C’est un grand changement par rapport à la situation actuelle où trois pays (Russie, Qatar et Iran) disposent de 50% de la totalité des réserves conventionnelles. Des pays comme les USA et la Chine, grands consommateurs d’énergie, assureraient ainsi largement leur autonomie et pourraient même devenir exportateurs dans un proche avenir. Si le volume de ces réserves, qui reste une estimation pour le moment, était confirmé, nul doute que la scène énergétique mondiale connaîtrait de profonds bouleversements. Une telle abondance de gaz entraînerait probablement une plus grande compétition entre les pays producteurs qui risque d’enclencher une chute vertigineuse des prix.


Que faire en Algérie ? 
Dans notre pays, l’exploitation des gaz de schiste est conditionnée par des considérations économiques et environnementales. Au plan économique, les gaz de schiste présentent un coût de revient extrêmement élevé. Aux Etats-Unis, ce coût oscille entre 5 et 7 US$/MMBtu. En Algérie, le coût sera nettement plus élevé, car, contrairement aux Etats-Unis, le gaz devra être conditionné en vue de permettre son exportation. En prenant en compte un facteur de «tropicalisation» minimal de 25% (1,5 US$/MMBtu) et en y ajoutant les coûts de transport terrestre (1 US$/MMBtu), de liquéfaction (4 US$/MMBtu), de transport maritime (2,5-3 US$/MMBtu) et de regazéification (0,5 US$/MMBtu), le coût rendu sur les marchés consommateurs de gaz dépasserait les 15 US$/MMBtu. Ce coût est largement supérieur au prix en vigueur sur le marché européen (10-12 US$/MMBtu) et à peine égal à celui du marché Asie-Pacifique (15-16 US$/MMBtu). L’exportation des gaz de schiste ne présente donc pas des conditions de rentabilité acceptables. Au plan environnemental, l’exploitation des gaz de schiste entraînerait inévitablement les mêmes aléas rencontrés ailleurs. L’autre risque, autrement plus important, a trait à la possibilité de la pollution de la nappe phréatique par infiltration à travers les parois des puits de gaz (tubing). Ce risque se doit d’être évalué en ayant à l’esprit la spécificité de la production des gaz de schiste qui nécessite le forage d’un nombre incalculable de puits (forage aux USA de 500 000 puits en 10 ans !). Un tel risque, qui se démultiplie avec le nombre de forages, n’est pas une vue de l’esprit. Des défaillances de tubing ont déjà été constatées par le passé. Selon une étude de l’Académie américaine des sciences (Proceedings of National Academy of Science ou Pnas), publiée en juin 2013, le département de la Protection de l’environnement (DEP) de Pennsylvanie aurait constaté pas moins de 90 cas de tubing et de cimentation non conformes en 2010 et 119 en 2011. Dans un tel contexte empreint d’incertitudes économiques et techniques, peut-on envisager l’exploitation des gaz de schiste ? A moyen terme, la réponse est, à mon avis, non. Cette réponse est motivée par les problèmes précités. Elle se justifie d’autant plus que notre pays dispose de réserves appréciables de gaz conventionnel, 4 000 milliards de mètres cubes ou plus de 30 ans d’autonomie, qui lui permettent de se passer des gaz de schiste très coûteux et présentant de réelles contraintes. A plus long terme, 15-20 ans, les techniques d’exploitation de ces gaz auront eu tout le temps de faire leurs preuves, ailleurs et non à nos dépens. Les risques y associés devraient aussi être mieux maîtrisés par la mise en place d’une réglementation nationale appropriée. Dans ces conditions, l’exploitation des gaz de schiste sera alors possible. Leur commercialisation viendrait répondre à point à la demande du marché intérieur qui en aura grandement besoin à ce moment. Au plan économique, l’écoulement de ces gaz sur le marché national ne poserait aucun problème vu que les opérations de conditionnement liées à l’exportation (plus de 50% du coût total) ne seront pas requises. En revanche, leur exportation continuera à se heurter au même handicap de rentabilité car les coûts opératoires continueront à croître alors que les prix du marché international du gaz devraient, selon les prévisionnistes, stagner.


Conclusion 
Dans un monde, caractérisé par une augmentation substantielle de la demande d’énergie et une raréfaction des ressources conventionnelles, il est évident que les énormes réserves des gaz de schiste seront mises à profit pour assurer la satisfaction des besoins énergétiques de demain. L’utilisation de ces ressources reste néanmoins tributaire de la mise au point de techniques de production plus performantes que la fracturation hydraulique dans sa forme actuelle. 
Par Salah Azzoug
Ingénieur raffinage et pétrochimie

azzoug_s@yahoo.com

 

 
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